?This is the English translation of the French title of the article in Le Monde by Véronique Lorelle.

« Le design doit rendre l’intelligence artificielle moins inquiétante »
A la Cité du design de Saint-Etienne, une exposition est consacrée à l’œuvre de John Maeda, le pionnier du graphisme digital.
Aujourd’hui à la tête de l’équipe de design d’Automatic, l’éditeur américain de logiciels qui a créé WordPress (fournisseur de sites gratuits et open source le plus diffusé au monde), John Maeda, 53 ans, présente notamment à Saint-Etienne – pour la première fois en Europe – son cinquième rapport annuel « Design in Tech » sur les grandes tendances 2019 des arts numériques, de l’utilisation de l’intelligence artificielle au graphisme, intitulé « The Gateway to Inclusion » (passerelle vers l’intégration).
Pourquoi avez-vous choisi Saint-Etienne pour présenter votre cinquième rapport ?
J’ai été invité à le faire par Lisa White, commissaire principale de la Biennale, et j’adore la France. J’y suis venu notamment en 2005 à la demande de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris, qui a exposé sous le titre Nature mes « digital landscapes », mes peintures donnant à voir l’espace numérique à la façon d’un paysage. La Biennale de Saint-Etienne, sur le thème « Me You Nous, créons un terrain d’entente », rejoint mes préoccupations au sujet de la différence, de la diversité. Mon rapport 2019, intitulé « The Gateway to Inclusion », montre que le design le plus pointu exige d’embrasser les différences entre humains. Beaucoup de services numériques aujourd’hui – comme de se faire livrer une pizza ou réserver une place pour garer sa voiture – sont sans intérêt. Il faut inventer un monde plus éthique, plus inclusif.
Qu’est-ce qui a empêché de le faire jusqu’ici?
Le monde numérique regroupe d’abord des hommes blancs qui travaillent à partir de leurs propres préoccupations. C’est un état de fait depuis les années 1960-1970 : l’informatique est un bien de consommation qui s’adresse aux garçons. Dans les grandes entreprises tech aujourd’hui encore, les femmes sont peu visibles, tout comme les gens issus des minorités. Résultat : le design parle à une population jeune, valide, à laquelle elle propose du désirable et non de l’indispensable. Toutefois, je vois poindre une technologie qui cherche à être plus ancrée dans le quotidien.
Selon vous, une vision plus éthique du design s’affirme au sein des géants du Web?
Oui. Ainsi Google a lancé Easy Talk Lite, une application gratuite pour les sourds ou malentendants qui retranscrit la moindre conversation à leur portée, dans un café bruyant par exemple ; Microsoft a conçu une manette de jeu Xbox qui répond aux besoins des tétraplégiques ou des amputés. Je cite aussi cette police du designer japonais Kosuke Takahashi, Braille Neue, qui combine le braille avec les lettres de l’alphabet, et permet que tous – voyants et malvoyants – puissent lire. J’aime beaucoup aussi cette application Lyra pour les enfants autistes qui ont du mal à s’exprimer oralement : ils peuvent montrer des images. Ces avancées profitent à tous. Pour Lyra, je pense à mon père qui ne parlait pas bien anglais : dans certaines situations, cela lui aurait été tellement utile.
La majorité des gens ont peur des nouvelles technologies parce qu’ils ne connaissent pas le numérique. Quand on ne connaît pas bien quelque chose, on peut aisément être manipulé. En repositionnant le design dans sa mission première, qui est de trouver de nouvelles solutions, l’intelligence artificielle apparaîtra moins inquiétante, plus inclusive.